Dernière mise à jour le 23/01/2019 – Par Myriam Souveton – Crédit photo : Fotolia
En modifiant un article de la loi de fiances 2019, les députés ont étendu la notion d’abus de droit. Celui-ci pourrait toucher dès le 1erjanvier 2020 les démembrements de propriété.
L’abus de droit : un outil anti-fraude fiscale
Aujourd’hui, l’abus de droit est un outil anti-fraude fiscale utilisé par le fisc. Il vise les montages fiscaux abusifs réalisés dans un but « exclusivement » fiscal. Il est puni par des pénalités se montant à 80% de l’impôt fraudé.
À partir du 1er janvier 2020, l’abus de droit sanctionnera également les actes dont le but est « principalement » (et non plus « exclusivement ») de diminuer l’impôt. En changeant un simple mot les députés ajoutent ainsi au livre des procédures fiscales une version «mini» de l’abus de droit.
« Nous avons rajouté un étage intermédiaire, explique Bénédicte Peyrol, députée LREM à l’origine de la proposition, qui n’induit pas de sanctions aussi fortes. Si l’opération est requalifiée parce que son but est considéré comme principalement fiscal, elle pourra être annulée et donner lieu au paiement d’intérêts de retard ».
La transmission de la nue-propriété d’un bien potentiellement concernée ?
Selon les notaires et avocats fiscalistes, la portée de ce texte est potentiellement très large et pourrait faire peser un risque fiscal important sur des pratiques aujourd’hui très courantes, comme par exemple, la transmission par des parents à leurs enfants de la nue-propriété d’un bien immobilier.
Ce montage, très couramment recommandé par les notaires et avocats, permet de préparer la transmission de son patrimoine tout en allégeant les droits de succession. Les parents transmettent de leur vivant la nue-propriété de leurs biens immobiliers à leurs enfants et en conservent l’usufruit.
Les parents gardent la possibilité d’habiter ou louer les biens immobiliers et d’en percevoir les éventuels revenus locatifs. Ils en acquittent les charges. En revanche, ils ne sont plus libres de vendre les biens.
Au moment de la donation, les droits de donation sont allégés car ils ne portent que sur la valeur de la nue-propriété des biens. Celle-ci est déterminée par un barème qui varie en fonction de l’âge du donateur. Par exemple, si l’âge du donateur est compris entre 71 ans et 80 ans au moment de la donation, la valeur de la nue-propriété est égale à 70% de la valeur en pleine propriété. Ainsi, les droits ne portent que sur 70% de la valeur du bien en pleine propriété. Au décès des parents, les enfants récupèrent la pleine propriété des biens sans droits de succession supplémentaires.
Un texte encore flou, en attente d’une position de l’administration fiscale
Si l’allègement de la fiscalité n’est pas, dans la majorité des cas, la motivation principale, il est souvent l’élément déclencheur de la décision de donner en nue-propriété. Si l’administration fiscale considère la donation comme abusive, les familles devront être en mesure de prouver que le but premier n’est pas fiscal. Cette appréciation, assez subjective, fait peser une incertitude forte sur le contribuable.
Pour Bénédicte Peyrol, le texte vise d’abord la lutte contre l’optimisation agressive et l’évasion fiscale internationale des entreprises. Selon elle, « si le contribuable démontre que l’objectif est d’organiser la succession et de simplifier la gestion du patrimoine, alors la fiscalité n’est qu’un accessoire».Elle précise qu’« il sera possible aux familles de prouver dans quel but la succession est organisée, en informant l’administration a priori via des rescrits fiscaux ». NB : le rescrit fiscal consiste pour un contribuable à interroger l’administration sur l’application des règles fiscales et les effets sur son cas particulier. Elle lui donne son interprétation des textes fiscaux par rapport à sa situation et cette réponse, appelée rescrit fiscal, est opposable sous certaines conditions.
Les donations en nue-propriété déjà réalisées ne sont pas concernées, seules celles qui seront réalisées à compter du 1er janvier 2020 le sont potentiellement.
La députée admet néanmoins qu’il faudra peut-être « dans les prochains mois préciser la position de l’administration sur cette question du démembrement de propriété ».
A ce stade, en l’absence de jurisprudence, l’interprétation du texte reste floue. Le « mini » abus de droits pourrait également concerner de nombreuses autres opérations, comme par exemple un changement de régime matrimonial.
L’Etat a publié un communiqué pour rassurer
Fâce à cette incertitude, le ministère des Finances a publié un communiqué le 19 janvier 2019 en indiquant que « la nouvelle définition de l’abus de droit ne remet pas en cause les transmissions anticipées de patrimoine, notamment celles pour lesquelles le donateur se réserve l’usufruit du bien transmis, sous réserve bien entendu que les transmissions concernées ne soient pas fictives. En effet, la loi fiscale elle-même encourage les transmissions anticipées de patrimoine entre générations parce qu’elles permettent de bien préparer les successions, notamment d’entreprises, et qu’elles sont un moyen de faciliter la solidarité intergénérationnelle. L’inquiétude exprimée n’a donc pas lieu d’être. »
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